Y a-t-il trop de brasseries artisanales en France?
Auteur : Emmanuel Gillard - Publié le 20 février 2017 - Mis à jour le 6 juillet 2018 - Mis à jour le 24 avril 2020
 

Face à une courbe de croissance exponentielle du nombre de brasseries et à la multiplication des lieux de production proches les uns des autres, il est légitime de se poser la question de la concurrence.

En 2020, ce sont plus de 1800 brasseries qui sont actives en France, soit environ une brasserie pour 37.000 habitants. A titre de comparaison, les Etats-Unis qui sont souvent pris en exemple dans le renouveau de la bière artisanale se situent autour de 7500 brasseries, soit environ une brasserie pour 44.000 habitants.

En 2019, une quinzaine de grosses brasseries produisaient environ 95% du volume de bière, les 5% restants provenant de plus de 1600 "petites" brasseries. Sachant que la production totale française était alors estimée à 20.7 millions d'hectolitres, on peut en déduire que les  1600 "petites brasseries" se partagent un marché de 1 035 000 hectolitres, soit environ 647 hectolitres par unité de production.

Ce chiffre de production particulièrement limité est une spécificité française qui, combiné à un rayon de vente le plus souvent restreint à une vingtaine de kilomètres autour de la brasserie, montre que ces établissements peuvent s'apparenter à un "commerce de proximité".

Ma position a toujours été qu'il n'y a pas de réelle concurrence géographique pour des brasseries dont la grande majorité se situe en-dessous de 1000 hectolitres de production par an. Cela n'étonne personne de trouver plusieurs boulangeries dans une même ville, alors pourquoi en serait-il différemment pour le pain liquide?

Pour étayer ces propos d'une manière plus argumentée, j'ai de nouveau utilisé les données présentes dans Projet Amertume. Cette mise à jour date d'avril 2020, aussi les chiffres pour l'année 2019 doivent encore être consolidés, car je suis parfois informé de l'ouverture d'une brasserie quelques mois après sa création.

J'ai tout d'abord calculé le nombre d'ouvertures de brasseries chaque année depuis 2000 :

La ligne bleue représente donc le nombre d'ouverture de brasseries par an. J'ai lissé ce résultat avec une courbe de tendance polynomiale d'ordre 4 (courbe noire). On constate que le nombre de créations a commencé à baisser à partir de 2018.

 

De la même manière, j'ai défini l'évolution du nombre de fermetures annuelles depuis 2000 :

 

La ligne bleue représente donc le nombre de fermetures de brasseries par an. J'ai lissé ce résultat avec une courbe de tendance polynomiale d'ordre 3 (courbe noire). On constate que le nombre de fermetures s'est stabilisé depuis 2017.

Remarquons une petite anomalie en 2013, puisqu'il y a eu cette année à peu près le double de fermetures que les années adjacentes, sans doute à cause de la hausse des droits d’accises sur la bière de 160% au 1er janvier 2013 :

  • 13 fermetures en 2012

  • 27 fermetures en 2013

  • 20 fermetures en 2014

Il est facile de constater que ces deux courbes présentaient jusqu'en 2017 une tendance exponentielle. Ceci est facilement expliqué par le fait qu'un plus grand nombre de brasseries entraine forcément un plus grand nombre de fermetures.

Supposons qu'en une année on observe 100 ouvertures pour 20 fermetures, et que l'année suivante, on dénombre 200 ouvertures pour 40 fermetures, on peut en déduire que l'état de santé du secteur brassicole est stable, puisque le rapport entre le nombre d'ouvertures et de fermetures reste constant à une valeur de 5.

L'évolution du ratio entre le nombre d'ouvertures annuelles et le nombre de fermetures annuelles est donc un indicateur intéressant pour mesurer l'état de santé du secteur. Une sorte d'indice de confiance dont j'ai tracé la courbe.

La ligne bleue présente l'évolution du ratio ouvertures / fermetures à partir de 2003. La ligne noire est la courbe de tendance polynomiale d'ordre 4 de ce ratio. Nous pouvons ainsi constater que ce ratio évolue positivement entre 2006 et 2017, passant d'une valeur de 3 à 11 en quelques années. Ce qui revient à dire que l'on créait en moyenne près 11 fois plus de brasseries qu'il n'en fermait en 2017.

Il est également intéressant de remarquer que, pour la première fois en 2018, le ratio ouvertures / fermetures de brasseries a régressé. Ceci se matérialise également au niveau de la courbe de tendance.

 

Nous pouvons enfin nous intéresser aux principales causes de l'arrêt d'activité, récoltées lorsque c'est possible directement auprès des intéressés.

La première cause est liée à des problèmes de santé. Il s'agit en particulier de maux de dos, le travail dans une petite brasserie étant particulièrement exigeant si l'ergonomie n'est pas correctement adaptée. Il y a également des cas d'épuisement physique et moral. De nombreux brasseurs ne comptent pas leurs heures et doivent cumuler plusieurs métiers : production de bière, commercialisation, marketing, relation avec les fournisseurs, tâches administratives,…

Les difficultés relationnelles entre associés arrivent en deuxième position. Lorsque plusieurs amis montent un projet ensemble et que l'un d'eux veut reprendre ses billes, cela peut faire s'écrouler l'édifice, notamment si la structure juridique n'est pas adaptée.

Les difficultés financières n'arrivent qu'en troisième position. Outre le fait que tout le monde n'est pas nécessairement doué pour la vente, c'est souvent le dimensionnement initial de l'outil de production qui induit des charges trop importantes.

 

En synthèse, on observe depuis 2018 les premiers signes d'essoufflement dans la dynamique de création de brasseries. Le ratio ouvertures / fermetures baisse également, même s'il reste élevé.

A ce stade, il ne semble pas que la concurrence liée à la multiplication des brasseries soit la cause principale de la fermeture de certaines unités de production. On assiste plutôt à une stabilisation du marché après quelques années de développement frénétique.