La filière biologique des bières françaises
Auteur : Emmanuel Gillard - Publié le 26 février 2018

Petit rappel historique

En France, l’avènement d’une filière biologique se fit progressivement, jusqu’à ce qu’une prise de conscience commune chez les agriculteurs et les consommateurs amène les pouvoirs publics à créer une Commission Nationale sur cette thématique en 1981. L’objectif était alors de rédiger les premiers cahiers des charges et de développer l’agriculture biologique.

Pour permettre une meilleure information des consommateurs, le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche a développé en 1996 le logo AB. Lorsque vous achetez un produit sur lequel ce logo est apposé, vous êtes assurés qu’il est certifié issu de l’agriculture biologique et qu’il est conforme aux normes françaises et européennes.

Depuis le 1er janvier 2009, l’Europe a décidé d’harmoniser les règles s’appliquant dans les différents pays de l’Union Européenne (règlement CE n°834/2007 dont les modalités d’application ont été fixées par le règlement CE n°889/2008). Et depuis le 1er juillet 2010, le logo européen est obligatoire pour les produits bio alimentaires pré-emballés qui respectent le cahier des charges en vigueur au sein de l’Union Européenne. Le logo français AB peut cependant toujours être utilisé.

C’est donc dorénavant un cahier des charges européen qui définit les procédures agricoles et de transformation pour que les produits puissent être certifiés bio. Pour s’assurer que ces règles sont respectées, l’agriculteur ou le transformateur doit être contrôlé par un organisme certificateur agréé par l’Etat, et qui sont au nombre de six en France.

Cependant, d’autres labels existent, comme Nature & Progrès ou encore Demeter. Ces organismes sont privés, indépendants et ne sont rattachés à aucun ministère. Leur logo s’ajoute donc au logo AB et au logo européen. En général, les cahiers des charges associés sont plus contraignants et leur réglementation plus stricte.

Ainsi, l'association Nature & Progrès a rédigé un cahier des charges spécifique à la brasserie au deuxième trimestre 2013. Ce cahier des charges est le résultat d'une collaboration entre tous les intervenants du secteur brassicole, ce qui a nécessité plusieurs années de travail.

Toutes les étapes liées à la production d'une bière font l'objet de spécifications précises afin de pouvoir obtenir la mention Nature & Progrès. Ainsi, on mentionne la qualité des matières premières agricoles, l'origine et la qualité de l'eau de brassage, la levure et son retraitement, l'augmentation du titre alcoométrique, les produits de traitement de la bière, la matériel de brasserie et les procédés de brassage, l'hygiène de la brasserie et la gestion de l'eau et même la traçabilité et l'étiquetage du produit fini.

Il est enfin à noter que je constate de plus en plus de jeunes brasseurs qui utilisent des ingrédients biologiques sans toutefois demander une quelconque certification. En effet, les démarches sont parfois considérées comme contraignantes et coûteuses. Dans ce cadre, le brasseur se contente d’indiquer la liste des ingrédients biologiques sur l’étiquette.

 

Les exigences à respecter

Pour la bière, qui est un aliment composé, la marque AB garantit un minimum de 95% d’ingrédients d’origine agricole biologique. Les 5% restants sont des produits non disponibles en bio en quantité suffisante (épices, par exemple). Le houblon étant bien évidemment utilisé dans une proportion inférieure à 5%, il est facile d'obtenir une dérogation pour produire une bière biologique avec du houblon conventionnel.

Les produits doivent en outre être exempts de colorants chimiques, d’arômes artificiels, d’additifs de synthèse et d’agents conservateurs chimiques.

Remarquons enfin que la réglementation européenne a autorisé un seuil de 0,9% de présence fortuite d’OGM.

 

Les difficultés d’approvisionnement

Concernant le malt d’orge, je n'ai répertorié que sept malteries françaises produisant du malt biologique : la malterie Soufflet d’Arcis-sur-Aube depuis mai 2010, Axéréal en région Centre depuis 2009, la société Malt Fabrique située à Ploeuc-sur-Lié dans les Côtes-d'Armor, la malterie du Vieux Silo à La Sauzière-Saint-Jean dans la Tarn, Malteurs Echos (Ardèche) qui est une malterie artisanale coopérative et solidaire qui a débuté ses activités en 2013, Yec'hed Malt (Morbihan) qui produit du malt biologique breton depuis le printemps 2017 et enfin Lucile Comptour qui a démarré son activité en novembre 2017 au sein de la malterie des Volcans (Puy-de-Dôme).

De ce fait, la majeure partie du malt biologique est importé d’Allemagne ou de Belgique.

Et pour le houblon, ce n’est guère mieux. A l’exception des petits brasseurs cultivant eux-mêmes leur houblon, il n’y a pas de producteurs biologiques en France. Cependant, les choses vont peut-être bouger, comme l’atteste la plantation récente par la Cophoudal (Alsace) d’une houblonnière sur des terres en conversion bio. Là aussi, les brasseurs sont obligés de s’approvisionner à l’étranger.

Dans ces conditions, le bilan carbone d’une bière biologique brassée en France est de l’ordre du double de la filière traditionnelle, alors même que certaines brasseries allemandes produisent des bières « zéro CO2 ».

L’intérêt pour le consommateur réside dans une bière de qualité sanitaire irréprochable. Par contre, je ne connais pas d’étude scientifique portant sur l’impact des ingrédients biologiques sur le goût du produit final.

 

Les bières biologiques françaises

Malgré ces contraintes, la place de la France concernant les bières bio est assez privilégiée. On dénombre ainsi 201 brasseries produisant uniquement des bières biologiques (160 en décembre 2016, 105 en décembre 2014, 70 en décembre 2013), auxquelles il convient de rajouter les brasseries ayant au moins une bière bio dans leur assortiment.

Ainsi, la France se situe à une place nettement plus performante que la Belgique ou encore l’Allemagne, deux pays avec une « culture bière » forte.

Si l’on se base sur mes notes, on constate que j’ai dégusté pas moins de 464 bières biologiques françaises. Cela signifie qu’environ 11,15% de l’ensemble des marques de bières françaises sont certifiées biologiques. En décembre 2016, ce chiffre était de 10,73%. En décembre 2014, Il s'agissait de 9,3%. Et en décembre 2013, je recensais 8,5% de brasseries produisant uniquement des bières biologiques. Aussi, on peut en déduire clairement que la proportion de brasseries biologiques est en forte hausse ces dernières années.

Ce chiffre de 11,15% est réellement important, surtout si on le compare aux autres pays. En effet, si l’on tient compte uniquement de mes fiches de dégustations de bières ne provenant pas de France (8802 références), on aboutit à un pourcentage bien moindre de 2,70% de bières biologiques (2,81% en décembre 2016, 2,93% en décembre 2014 et 2,9% en décembre 2013).

La France n’est donc pas loin de produire en proportion quatre fois plus de références de bières biologiques que la moyenne des autres pays. Cela ne signifie pas pour autant que la France est un gros producteur en volume. En effet, la plupart de ces bières ne sont commercialisées qu’à l’échelle locale ou dans les réseaux spécialisés.

Cet article est extrait de mon eBook "Bières et brasseries françaises du 21ème siècle – Edition 2018" (livre électronique au format PDF – 5368 pages – ISBN : 978-2-9546756-4-0) disponible sur http://projet.amertume.free.fr/bbf.htm