Tout savoir pour maîtriser le tirage d'une bière à la pression
Auteur : Emmanuel Gillard - Publié le 8 mars 2021 - Version modifiée et complétée de l'article paru initialement dans le Bière Magazine 103 d'avril 2019

Le principe même d'un tirage pression est plutôt simple. Il s'agit de conduire jusqu'au bec de tirage une bière à la bonne pression et à la bonne température.

Il existe deux modèles principaux de tirage pression :

  • Des tireuses à banc de glace dont il faut remplir le réservoir avec de l'eau. Après avoir branché la tireuse, il faudra attendre au moins 90 minutes avant que l'eau ne soit transformée en glace, constituant ainsi une grande réserve de froid qui conviendra pour des débits importants (50 à 450 litres par heure)

  • Les tireuses à froid sec, qui fonctionnent comme un frigo en produisant du froid à la demande. Il est possible de tirer la bière seulement 10 minutes après l'avoir branchée, mais ces tireuses ne conviennent pas pour des débits trop élevés (20 à 150 litres par heure)

Installation type d'un tirage pression (crédits : Brasseries Kronenbourg)
Installation type d'un tirage pression (crédits : Brasseries Kronenbourg)

 

La bière contenue dans le fût est déjà saturée en gaz carbonique. Celui que nous allons injecter ne sert en principe qu'à pousser la bière en dehors du fût et à remplacer la bière débitée par du gaz carbonique.

Outre cet effet mécanique, la pression de CO2 à appliquer sert également à empêcher la désaturation du produit, en obligeant le gaz carbonique dissous à rester dans la bière.

La pression sur le manomètre situé sur le détendeur se règle à l'aide d'une vis. Ainsi, une règle simple à retenir est qu'une pression de 2,2 bars conviendra dans la plupart des cas. Cependant, ce chiffre doit être corrigé pour tenir compte de quatre facteurs essentiels :

  • La température ambiante : plus elle est élevée, plus la pression doit être augmentée afin de contenir la bière et de l'empêcher de mousser

Correction de la pression en fonction de la température ambiante (crédits : Brasseries Kronenbourg)
Correction de la pression en fonction de la température ambiante (crédits : Brasseries Kronenbourg)

  • La hauteur entre le bas du fût et le bec de tirage : plus cette hauteur est importante, plus il sera nécessaire d'augmenter la pression afin de compenser le poids lié à la colonne de bière dans la ligne de tirage. La pression à ajouter est de 0,1 bar pour une hauteur d'un mètre

  • L'altitude (et donc la pression atmosphérique). En montagne, la pression atmosphérique est plus faible et donc la bière aura tendance à dégazer plus rapidement. Dès lors, la pression de service doit être augmentée de 0.011 bar par tranche de 100 mètres au-dessus du niveau de la mer

  • La longueur de la ligne de tirage. Plus celle-ci est élevée, plus la pression de service doit être augmentée, afin de compenser la perte de charge dans la tuyauterie.

Si l'on prend l'exemple d'un tirage pression utilisé en bord de mer à une température ambiante de 28°C et dont le bas du fût se situe 5 mètres plus bas que le robinet de tirage, la pression de service idéale sera donc de 3,2 bars (2,7 bars pour une température ambiante de 28°C + 0,5 bar pour compenser une hauteur de cinq mètres).

Outre que cette pression de 3,2 bars peut poser problème aux installations de tirage (certains modèles sont d'ailleurs munis d'une soupape de sécurité qui se déclenche à 2,5 bars), une pression de tirage élevée présente deux inconvénients :

  • Plus la pression est élevée et plus la bière s'écoulera vite dans le verre, provoquant au passage des éclaboussures et une désaturation du liquide en gaz carbonique lors du contact entre le verre et la bière. C'est pourquoi sur certaines machines il y a un robinet compensateur sur le bec de tirage. En l'utilisant, il est possible de diminuer le débit

  • Une pression importante dans le fût conduit également à une augmentation du taux de gaz carbonique dissout dans la bière, ce qui peut conduire à une sensation de picotement sur le palais. Ceci avait déjà été mis en évidence dès 1803 par le scientifique William Henry qui constatait qu'à température constante et à l'équilibre, la quantité de gaz dissout dans un liquide est proportionnelle à la pression partielle qu'exerce ce gaz sur le liquide.


Bec de tirage avec robinet compensateur

La quantité de gaz carbonique dissout dans la bière ne dépend pas que de la pression de service, mais également de la température de service de la bière. Plus la bière est servie froide et plus grande sera la quantité de CO2 dissout, ce qui accentuera encore la sensation de picotement.

 

Les mélanges gaz carbonique - azote

D'autres gaz peuvent être utilisés pour le service d'une bière à la pression, en particulier l'azote (N2) ou un mélange de gaz carbonique et d'azote.

L'azote est injecté lors du tirage à la pression, offrant ainsi une mousse particulièrement abondante, crémeuse et stable. En effet, l'azote est peu soluble dans un liquide et forme de très fines bulles à la structure plus stable. Ce phénomène est encore accentué par la présence de 75% d'azote dans l'air ambiant, contre 0,2% de gaz carbonique. De ce fait, le déséquilibre de pression entre la bière et l'air atmosphérique est moins important pour l'azote que pour le gaz carbonique, faisant que l'azote s'échappe moins rapidement de la bière.

Aux USA, les bières sont parfois servies à la pression avec un mélange de 25% de CO2 et 75% de N2. On appelle cela des "nitro beers". Ces bières ayant une faible concentration en gaz carbonique, elles nécessitent une pression de tirage plus élevée pour pousser le produit, ce qui implique l'utilisation de matériel spécifique.

Lorsque la longueur de la ligne de tirage pression est trop grande, la pression de gaz carbonique nécessaire pourrait être supérieure à son point de liquéfaction (5.2 bars à 31.1°C). La solution est alors d'utiliser un mélange CO2 / N2 qui permet une pression de service plus élevée, sans pour autant aboutir à une carbonatation trop élevée de la bière. La proportion nécessaire devra être calculée en fonction de la longueur de la ligne de soutirage et nécessitera un "gas blender", qui permet d'effectuer le mélange adéquat directement sur le lieu de consommation. Néanmoins, une simple pompe à bière permettra d'augmenter la pression sans avoir besoin de recourir à ce système.

Un autre système existe également pour les boîtes métalliques : il s'agit d'une capsule d'azote qui libère le gaz lors de l'ouverture, créant ainsi une belle mousse crémeuse.

 

Les lignes python

Si la longueur de la ligne de tirage pression est trop importante, la bière va se réchauffer lors de son transport, provoquant un dégazage qui produira une mousse trop abondante, générant de ce fait du gaspillage.

Dans ce cas, il convient d'utiliser une ligne python, qui consiste en deux tuyaux concentriques : celui du centre contient la bière et celui qui l'entoure fait circuler de l'eau froide à contre-courant, de manière à maintenir la bonne température.

Parfois, il s'agit simplement de plusieurs tuyaux entourés d'une mousse isolante, certains servant pour la bière, d'autres pour le liquide de refroidissement (eau ou glycol). Dans tous les cas, le groupe froid doit être équipée d'une pompe pour ligne python.

 

FOBs (Foam On Beer)

Lorsque la ligne de tirage pression est longue, le remplacement d'un fût par un autre entraine souvent une perte de bière, à cause de la formation de mousse. C'est là qu'intervient le dispositif FOBs (Foam On Beer) qui arrête automatiquement le flux de bière lorsque le fût est vide. Vous pouvez alors changer de fût sans perdre de liquide, si vous conservez la même référence de bière sur la ligne, bien évidemment. S'il s'avère pratique et économique, cet équipement nécessite une sanitation performante, afin d'éviter les problèmes d'infection.

La photo suivante montre des FOBs (en haut) et des pompes à bières (en bas) pour des lignes de longueur importante. On remarque qu'il n'y a pas de ligne python, ce qui signifie que ces équipements se situent avec les fûts de bière en chambre froide.

 

Et si toutes ces explications vous paraissent claires, vous comprendrez également qu'il serait théoriquement possible de servir une bière à une température de service de 25°C sans qu'elle mousse, en lui appliquant une pression de tirage d'environ 3 bars. Une solution utile lors d'une panne du circuit de refroidissement, mais peu recommandée, les joints des tireuses n'étant pas prévus pour supporter une telle pression!