Bilan de la
situation du marché brassicole français et des grandes tendances en
2022 Les impacts de la pandémie de COVID-19 ne sont pas encore résorbés qu'une nouvelle menace vient détériorer les perspectives de reprise de la filière brassicole; la guerre en Ukraine et sa spirale inflationniste. Pourtant, il ne faut pas tomber dans la morosité. Le secteur montre toujours un beau dynamisme et le potentiel de croissance reste important. La premiumisation du marché se poursuit en créant de la valeur sur le segment des bières de spécialité qui ne cessent de progresser. La Coupe du monde de football 2022 devrait doper la consommation qui, avec environ 33 litres par an et par habitant, la plus faible au niveau européen, offre encore une belle marge de progression. Les bières sans alcool ou faiblement alcoolisées ont également le vent en poupe. Le consommateur suit le mouvement global que l'on observe également dans les autres secteurs agro-alimentaires, le retour à un produit simple, naturel et artisanal, élaboré en petite quantité et disponible le plus souvent à l'échelle locale. Ce désir de changement provient d'un manque de confiance à l'égard des grandes marques et des multinationales. Ce réveil des consciences ouvre alors la voie à des entreprises plus modestes, jusque-là écrasées par une industrialisation grandissante. Après la révolution industrielle, vient la révolution artisanale, l’heure pour les marques locales de reprendre de la place. Si le consommateur se soucie de plus en plus de la provenance des produits qu'il achète, il recherche également l'histoire des hommes et des femmes qui se cachent derrière. On valorise ainsi les individus plutôt que leurs sociétés. La bière craft est à la mode parce qu'elle raconte une histoire, celle de leurs créateurs. Un beau terrain de jeu en perspective pour les quelques 2400 microbrasseries en activité sur l'ensemble du territoire français! COVID-19 et guerre en Ukraine : une filière fragiliséeEn 2020, la filière bière avait souffert et souffre encore de la pandémie mondiale qui a déboulé par surprise, bouleversant les projets et provoquant un report d'investissement pour de nombreuses entreprises. Plus de deux ans après le premier confinement, nous pouvons globalement affirmer que le marasme économique redouté au sein du secteur brassicole n'a pas eu lieu. Certes, les brasseries avec un portefeuille clients fortement orienté vers les cafés, hôtels et restaurants (CHR) et conditionnant principalement en fûts auront été les plus impactées par la fermeture de ces établissements. Depuis mai 2021, et malgré un été morose, le CHR est de nouveau ouvert, permettant à ces brasseries de respirer un peu. On est pourtant loin d'avoir récupéré un chiffre d'affaires en consommation hors foyer équivalent à celui avant la crise. Les brasseurs ont su faire preuve d'une grande capacité d'adaptation, en réorientant une partie de leur production vers les GMS[1], en se tournant vers le e-commerce ou encore en développant le click and collect. Certains brasseurs qui avaient déjà des contrats avec des GMS et des capacités de production adaptées ont même profité de la crise, en explosant leurs chiffres de production. C'est notamment le cas d'acteurs de taille moyenne orientés vers les MDD (marques de distributeurs) et le hard discount. On peut citer la Brasserie de Saint-Omer (Financière ACP), la Brasserie de Champigneulles (groupe allemand TCB) ou encore la Brasserie Licorne (groupe allemand Karlsberg). Si l'épidémie mondiale avait déjà contribué à la désorganisation des circuits de fabrication et de distribution, la guerre en Ukraine vient enfoncer le clou. Elle s'inscrit dans une tendance inflationniste globale, en renforçant encore la hausse des prix des ingrédients indispensables à la production de la dive mousse. Les matières premières principales de la bière sont l'orge brassicole et le houblon. Le prix à la production de la bière est donc dépendant du prix d'achat de l'orge brassicole et du houblon par les brasseurs, lequel varie d'année en année notamment en fonction du climat. D'une manière plus générale, la filière brassicole est directement impactée par de nombreux autres facteurs : prix de l'aluminium et du verre pour l'emballage, coût des carburants pour le transport, tarif du gaz et de l'électricité notamment pour les phases d'empâtage et d'ébullition,… Le coût de la bière craft devient problématique pour un produit à l'image conviviale et abordable. Il est clair que les industriels, notamment par leur politique d'achat à grande échelle et leur capacité d'optimisation des coûts de production, seront les gagnants indirects de cette situation. Mais d'une manière générale, la grande perdante est bien la bière craft qui aura plus de difficulté à capter de nouveaux clients.
Bilan économique 2021Trois grands groupes brassicoles étrangers dominent le monde de la bière en France :
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Le belgo-brésilien AB InBev (Hoegaarden, Leffe,
Stella Artois, Corona,...) qui ne dispose pourtant d’aucune unité de
production dans l’hexagone et importe donc la totalité de ses
produits A côté des trois principaux géants de la bière, il existe une vingtaine d'acteurs de taille moyenne ainsi qu'environ 2400 "microbrasseries" qui font désormais partie du paysage et constituent un moteur de l'activité. Une estimation[3] réalisée en 2020 montre que les entreprises unipersonnelles (sans salarié) représentaient 48,2% du nombre d'entreprises mais ne représentaient que 0,6% du chiffre d'affaires. A contrario, les entreprises de plus de 50 salariés comptaient pour 3,1% du nombre d'entreprises mais généraient 88,1% du chiffre d'affaires. Ce qui revient à dire que les entreprises de moins de 50 salariés totalisaient 11,9% du chiffre d'affaires. Sur base d'une synthèse[4] de différentes sources disponibles, on peut avancer que les "petites brasseries" disposent actuellement d'une part de marché en volume comprise entre 6 et 8%, tandis que la part de marché en valeur serait de l'ordre de 10%. Avec 313 nouvelles brasseries recensées en 2021[5], le rythme de création est resté soutenu, avec près d'une nouvelle unité de production par jour. Le ratio ouverture / fermeture est en train de se stabiliser aux alentours de 7 pour 1 (vs + de 10 pour 1 en 2018)[6], ce qui reste excellent. Il n'y a pas de réel ralentissement dans les ouvertures; il y a plutôt une augmentation des fermetures. Les premières estimations pour 2021 montrent une augmentation du chiffre d'affaires de la fabrication de la bière de 5%, malgré une réouverture tardive des bars au début de l'été, une météo estivale plutôt capricieuse et un contexte sanitaire toujours incertain. Les ventes en distribution alimentaire ont de nouveau progressé d'environ 2%, toujours suite à la pandémie de COVID-19 qui provoque un report de la consommation hors foyer vers une consommation à domicile. La distribution hors foyer a certes progressé de 15%, notamment grâce à la réouverture au second semestre des cafés, hôtels et restaurants, mais ceci est à mettre en perspective avec la baisse des ventes de 38% l'année précédente[7]. Entre 2011 et 2019, la vente de bière a fortement progressé en France, d'abord en valeur (avènement des bières de spécialités) puis, à partir de 2014, en volume. Entre 2005 et 2020, la consommation des ménages en bière a augmenté de 113,9% en valeur[8]. En 2021, la vente de bière en France a augmenté de 4,3% pour atteindre un volume de 23,62 millions d'hectolitres[9]. Cette hausse importante est à relativiser avec une année 2020 morose. La fabrication des bières françaises nécessite le travail de semenciers, d’agriculteurs, de collecteurs, de malteurs, de levuriers, de producteurs de houblons et de brasseurs. Ceci se traduit par le fait que pour un emploi direct chez les brasseurs, ce sont en réalité 16 emplois indirects qui sont créés dans l'ensemble de la filière, ce qui représente un des ratios les plus élevés du secteur agro-alimentaire[10]. Le nombre d'emplois directs est estimé à 7550[11]. L'Urssaf comptabilisait 5377 salariés dans le secteur brassicole français. S'agissant de salariat, ce chiffre ne tient donc pas compte des nombreuses entreprises unipersonnelles créées ces dernières années. La hausse de l'emploi (salariés et entreprises unipersonnelles) est évaluée à +67% depuis 2013[12]. Si la localisation des brasseries montre une répartition relativement uniforme, la production reste cependant extrêmement concentrée. L'Alsace et le Nord-Pas-de-Calais, qui hébergent les sites de production des principaux producteurs (Kronenbourg et Heineken), arrivent ainsi largement en tête. En particulier, la région Grand Est reste de loin la plus importante, concentrant plus de 50% de la production française. En septembre 2021, le syndicat des Brasseurs d’Alsace (SBA) avançait même le chiffre de près de 60% des volumes produits, lors du renouvellement de leur comité. Les chiffres 2019 de l'Urssaf démontrent que les régions Grand-Est et Hauts-de-France totalisent à elles seules 47% des effectifs salariés en abritant des grosses unités de production telles que Kronenbourg (67), Heineken (59 et 67), le brasserie Licorne (67) ou encore Goudale (59) et Saint-Omer (62) qui font partie de la société holding française Financière ACP. En 2020, sur un chiffre d’affaires de 4,1 milliards d'euros, les brasseurs français ont directement ou indirectement contribués à récolter près de 3,5 milliards d'euros pour les finances publiques[13]. Le montant des droits d’accises s'établit à 892 millions d'euros. Les importations de bière en France connaissaient une forte hausse depuis 2013. Les bières importées proviennent essentiellement de quatre pays limitrophes (Belgique, Pays-Bas, Allemagne et Royaume-Uni) qui représentent plus de 90% en valeur. Les bières en provenance de la Belgique constituent à elles seules près de 60% de la valeur totale des importations. La pandémie mondiale de COVID-19 en 2020 a cependant mis un terme à cette hausse continue. Face à la crise sanitaire, les importations ont légèrement diminué en 2020, pour un montant de 904 millions d'euros. Les principaux pays affectés par cette baisse ont été l'Allemagne et la Belgique qui représente à elle seule près de 64% du total des importations en valeur[14]. En 2021, les exportations se sont stabilisées. Le taux d'export s'élève à 17,3%[15]. Les principales destinations d'exportation pour la brasserie française restent le Royaume-Uni, l'Espagne et la Chine qui a connu une progression importante de l'ordre de 50%. Le Royaume-Uni avait réalisé d'importants stocks en 2020 en prévision du Brexit, ce qui explique en partie une baisse des exportations vers ce pays en 2021. En 2020, le déficit commercial était évalué à 600 millions d'euros[16]. On estimait que 70% des bières consommées en France étaient produites sur le territoire français[17].
Quelques tendances du secteurLa montée en puissance des rayons bière dans les grandes et moyennes surfaces (GMS)Le rayon bière se métamorphose depuis quelques années, poussé par l'augmentation de la consommation, une extension de l'offre et l'avènement des bières de spécialité qui proposent des marges financières souvent plus intéressantes pour les distributeurs, comme pour les brasseurs. Si cet essor profite aux industriels et à la grosse vingtaine de brasseurs nationaux de taille moyenne, les microbrasseries ont fait une entrée en force dans les linéaires, contribuant à fournir un ancrage le plus souvent local au produit, et améliorant l'image de marque de la bière auprès du grand public. Ainsi, grâce aux grandes et moyennes surfaces (GMS), des styles de bière comme les IPA (India Pale Ale) sont désormais connus du plus grand nombre. Dans un dossier du magazine Rayon Boissons[18], on mentionne une augmentation de 25% de la taille des linéaires, qui passent ainsi en moyenne de 6,85 mètres à 8,59 mètres par magasin. Avec, à la clé, un accroissement du nombre de références qui évolue en moyenne de 43 à 56 sur la même période. Malgré les effets de la COVID-19, la vente en grande distribution est restée très dynamique en 2021, avec une croissance quatre fois supérieure au marché des liquides en général[19]. Pour dépasser significativement la barre des 10%, la bière artisanale en France devra forcément passer par les GMS qui offrent une belle vitrine aux brasseurs en touchant un grand nombre de consommateurs potentiels, sans avoir à investir dans de coûteuses campagnes de publicité. La grande distribution est donc un moyen de démocratiser la bière artisanale française en la rendant accessible au plus grand nombre, tout en éduquant le consommateur pour en faire un public averti qui se tournera alors vers des bières de meilleure qualité.
Bières de terroirOn assiste depuis quelques années à la création de nombreuses malteries et houblonnières régionales. Un véritable maillage est en train de se mettre en place, même dans des zones à priori peu propices à la culture d'orge brassicole et de houblon. C'est en réalité toute la filière amont de la bière qui en train de structurer pour être en capacité de fournir des matières premières locales, le plus souvent certifiées biologiques. Des acteurs se mobilisent ainsi pour la création de bières de terroir, ce qui nécessite de fédérer et coordonner l'ensemble de la filière. A titre d'exemple, l'association De la Terre à la Bière œuvre pour le développement d'une filière brassicole bio en Bretagne. Ce collectif, fondé en 2012, rassemble en 2020 100 producteurs, 2 collecteurs, 2 malteurs ainsi que 22 brasseries et distilleries. De 100 hectares d'orge brassicole bio en 2012, la production est ainsi passée à 1000 hectares en 2020. On imagine à quel point ces chiffres peuvent encore progresser lorsque l'on sait que, toujours en 2020, seul 10% de la bière consommée par les bretons est locale[20]. La notion de bières de terroir est appelée à se développer fortement dans le futur. Le consommateur, à la recherche de produits authentiques, ne se contentera plus d'une bière dont tel ingrédient spécifique est censé rappeler l'origine géographique du produit. Il voudra que sa bière, achetée localement, utilise des ingrédients produits localement.
Les offres complémentaires : limonade, soda houblonné, kombucha et kéfirParmi les brasseries que l'on peut visiter, nombreuses sont celles qui proposent la dégustation de leurs produits sur place. Si la bière est un excellent produit d'appel et qu'il est agréable de la savourer directement sur son lieu de production, parfois en rencontrant l'équipe de brassage, le visiteur aura souvent envie de compléter cette dégustation avec d'autres types de boissons. Il s'agit ici de compléter l'expérience de dégustation, mais également d'offrir une alternative aux personnes pour lesquelles la bière n'est pas le seul intérêt du déplacement. En particulier, les brasseurs prendront soin de proposer des alternatives non alcoolisées, telles de la limonade. Dans le but de renforcer la proximité avec le consommateur et d'affirmer son caractère local, la brasserie offrira souvent des produits issus d'autres acteurs régionaux.
Et tant qu'à faire de maîtriser la fermentation, d'autres boissons plus ou moins alcoolisées sont venues s'ajouter à la liste ces dernières années. Depuis environ 2015, le kombucha fait souvent partie de cette nouvelle offre. Cette boisson fermentée légèrement acide est préparée grâce à une culture symbiotique de bactéries et de levures que l'on plonge dans une solution sucrée à base de thé, le plus fréquemment du thé noir. Contrairement aux déclinaisons commerciales souvent pasteurisées ou utilisant des conservateurs, le brasseur pourra proposer une version naturellement pétillante, conservant ainsi les bactéries potentiellement bénéfiques à notre organisme, tout en mettant en avant la fraîcheur du produit. En 2022, le kombucha figurait pour la première fois comme catégorie à part entière lors du France Bière Challenge. En tant que juré de ce concours, j'ai eu le plaisir de déguster pas moins de 14 échantillons. Outre des flaveurs de thé qui pouvaient laisser une pointe d'astringence en bouche, on pouvait distinguer du miel, de l'umami, du saké, de la citronnelle, de la menthe glaciale ou encore de la pomme verte, montrant ainsi l'étendue gustative de cette boisson. Le kéfir est également une boisson fermentée peu alcoolisée, en général moins de 1% d'alcool, que l'on obtient par fermentation du lait ou de jus de fruits sucrés. On utilise des "grains de kéfir", un levain constitué essentiellement de bactéries lactiques et de levures. Lors du Lyon Bière Festival 2022, des producteurs de kombuchas et de kéfirs étaient présents pour la première fois. D'une manière générale, les brasseurs disposent du matériel et du savoir-faire pour diversifier leur offre, constituant une tendance qui s'affirme ces dernières années.
[1] GMS : Grandes et Moyennes Surfaces
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