La bière et le bois : retour aux racines ou effet de mode?
Auteur : Emmanuel Gillard - Publié en août 2010
 

Il convient de commencer par le début et de rendre à César ce qui appartient… aux Gaulois! Le tonneau en bois est en effet une invention gauloise qui servait à la fois au transport, à la conservation et au service de la cervoise (le produit ne deviendra bière qu’après l’avènement du houblon comme épice officielle au XIIème siècle).

De nos jours, le bois a pratiquement disparu dans les activités brassicoles modernes. Certaines régions conservent cependant cette tradition ancestrale; citons la Bavière (brasserie Augustiner) et la Tchéquie (quelques fûts en bois subsistent encore à la brasserie Plzeňský Prazdroj produisant la célèbre Pilsner Urquell). En Belgique, il s’agit essentiellement du Payottenland avec le lambic et ses dérivés, de la Flandre Occidentale avec ses bières rouges (Rodenbach, Bacchus, Bourgogne des Flandres, Duchesse de Bourgogne, Petrus, Vichtenaar,…) et de la Flandre orientale avec ses vieilles brunes (Liefmans Goudenband, Gildenbier, Ichtegem’s Oud Bruin, Paulus Oud Bruin, Zotskap, Adriaen Brouwer,…).

A côté de ces styles ayant traversés les siècles jusqu’à nos jours, nous assistons de plus en plus à de nouvelles expérimentations qui ne peuvent pas vraiment se raccrocher à un style précis. Nous pouvons citer la Bush de Nuits de la brasserie Dubuisson (Hainaut belge) qui est en réalité une Bush de Noël qui a subi un mûrissement de plus de six mois en fûts de chêne ayant contenu du vin Nuits Saint Georges.

La Oerbier Reserva de l’excellente brasserie belge De Dolle Brouwers en est un autre exemple et plus récemment la Cosmos Porter de cette même brasserie qui était une des stars du Zythos Bier Festival 2009 avec seulement six fûts de disponible. Imaginez un peu un porter de fermentation spontanée mélangé avec de la Oerbier Reserva de dix ans d’âge! Le résultat? Le caractère aigre-doux et vineux évoque clairement la Rodenbach Grand Cru. Pourtant, le corps est plus dense, plus alcoolisé et laisse filtrer quelques notes grillées. La finale est carrément acétique, sur le bois pourri. Un must!

La brasserie De Landtsheer située à Buggenhout, toujours en Belgique, offre une large gamme de bières sous la dénomination « Malheur ». J’apprécie le slogan de la brasserie « Een Malheur komt nooit alleen », littéralement « Un Malheur n’arrive jamais seul ». Une partie de la gamme utilise la méthode champenoise traditionnelle avec remuage et dégorgement. Citons la Malheur Dark Brut dont la particularité réside dans la maturation sur du jeune chêne américain, spécialement grillé pour cette bière.

Enfin, je peux continuer avec la brasserie La Binchoise, sise dans la ville belge de Binche célèbre pour son carnaval, qui vient de lancer sa Binchoise X.O. vieillie en fûts d’Armagnac. Ou encore la brasserie flamande ‘t Hofbrouwerijke dont la gamme Hofcuvée parle d’elle-même (Hofcuvée French Oak Medium Toasted, Hofcuvée Sherry Oak et Hofcuvée Whiskey Oak).

Pour autant, la Belgique n’est pas le seul pays qui expérimente avec du bois. Je peux citer également l’Italie avec l’exemple de la Birrificio Torrechiara qui produit la Panil Barriquée Sour dont la fermentation est réalisée en trois phases : 15 jours en tank en inox, 90 jours dans des fûts de Bordeaux et 30 jours en bouteille.

Un autre pays qui multiplie les expériences en la matière est bien entendu les USA. Plutôt que d’essayer de dresser un inventaire des produits et méthodes de fabrication, je vais m’intéresser sur le rôle moteur que jouent à nouveau les Etats-Unis en ce qui concerne le renouveau des bières sur bois… en Belgique.

Les USA, par leur intérêt pour les produits extrêmes, ont toujours cherché à copier les styles belges mais également à importer les styles originaux de Belgique. Parfois même, afin de permettre l’exclusivité pour un distributeur, un nouveau produit est créé de toute pièce pour l’exportation et se retrouve parfois introuvable sur le sol belge. Ces exportations ont contribué à préserver des styles en voie de disparition et, par ricochet, ont augmenté l’intérêt pour ces produits en Belgique même. Ainsi, en 2006-2007, les bières belges se faisaient plus houblonnées et amères, avec la naissance notamment de la Houblon Chouffe (brasserie d’Achouffe), la Brigand IPA (brasserie Van Honsebrouck) ou encore la Hopus (brasserie Lefebvre). En 2008-2009, les saisons hennuyères s’imposent massivement aux USA où il devient difficile de trouver une micro-brasserie n’ayant pas une référence de ce style dans sa gamme. De ce fait, les produits de la brasserie Dupont (Tourpes) s’arrachent à l’export et des brasseries réhabilitent cette famille de bières en déclin il y a peu. Nous assistons à la naissance de la IV Saison (brasserie de Jandrain), la Saison Cazeau (brasserie Cazeau), la Saison de Dottignies (De Ranke), la Saison from St Feuillien Belgian Farmhouse Ale (brasserie Saint Feuillien), la Saison Voisin (brasserie des Géants) ou encore tout simplement la Saison de la brasserie des Fagnes.

Si l’on revient à notre thème des bières sur bois, on constate aujourd’hui une forte pression américaine pour l’usage du bois en Belgique et de nombreuses brasseries s’équipent à nouveau. La Petrus Aged Pale créée en 2001 par la brasserie Bavik a été la première du genre, suivie depuis lors par de nombreuses références. Que ce soit par l’acquisition de fûts neufs dont on recherche l’influence des tanins du bois ou par l’achat de fûts usagés afin de tirer parti de l’influence du contenu préalable, le mouvement s’amplifie.

Les américains ont bien réussi à imposer le bois dans les vins français. Le même scénario est-il en train de se répéter pour la bière?