Radioscopie des microbrasseries en France
Auteur : Emmanuel Gillard - Publié en
décembre 2010
Plus de 370 brasseries françaises en activité (source :
http://projet.amertume.free.fr)!
Le chiffre prête à rêver lorsqu'on se rappelle qu'on a frisé la
vingtaine d'unités de production dans les années 80.
Ce mouvement s'inscrit dans le cadre plus large du consommer mieux /
consommer local mais répond aussi à une insatisfaction des
consommateurs suite à la standardisation des goûts et à l'avènement
de la pils industrielle imposée à grand renfort de marketing et de
mégafusions brassicoles.
Les petites unités de production sont dorénavant réparties sur
l'ensemble du territoire français et créent du dynamisme dans un
tissu rural qui en a bien besoin. Sachant qu'il faut en moyenne
vingt fois plus de main-d'œuvre pour un produire un hectolitre de
bière artisanale qu'un hectolitre de bière industrielle, l'argument
devrait faire réfléchir plus d'un politique.
Les microbrasseries se tournent de plus en plus fréquemment vers les
produits biologiques et il y a même quelques exemples d'intégration
verticale réussie. Citons le cas de la Ferme-Brasserie La Soyeuse
(Rhône) dont le brasseur Bertrand Burcklé est à la fois
agriculteur-malteur-brasseur.
Que demandez de plus?
Des produits passe-partout
Si nous observons la gamme typique d'une brasserie artisanale en
France, nous constatons que le classement par couleur domine le
marché. Blonde, blanche, ambrée et brune sont les quatre termes
récurrents.
La faute aux brasseurs? Non, aux consommateurs! Car le buveur de
bière français n'y connaît rien dans les différents styles : porter,
pale ale, doppelbock,… A sa décharge, le monde brassicole n'a pas
réussi à définir une stricte classification des styles de bières (le
plus abouti en la matière étant le remarquable travail du BJCP -
Beer Judge Certification Program -
http://www.bjcp.org/stylecenter.php)
et encore moins à la faire connaître du grand public.
Par opposition au monde viticole qui se raccroche logiquement à la
provenance géographique (les appellations), la bière a perdu le lien
avec son origine, un style de bière pouvant être brassé partout dans
le monde. Il est loin le temps où l'on parlait de Pale Ale de Burton
upon Trent (avec son eau riche en gypse; on parle d'eau burtonisée),
de Munich Pâle ou Foncée, du style viennois,… ou même de la bière
noire de Lyon, l'eau du Rhône et de la Saône se prêtant bien au
brassage de bières foncées. Alors, on se raccroche à ce que l'on a;
les couleurs de la bière servant de styles…
Si ce carcan des couleurs a le mérite de la simplicité, il occulte
la richesse du patrimoine brassicole. Quel lien entre une pils
industrielle, une English golden Ale et une abbaye triple? Rien, si
ce n'est la couleur…
Alors, nos brasseurs se mettent à produire des blondes, des
blanches, des ambrées et des brunes. Et comme toute spécificité au
style est gommée, ces produits sont souvent passe-partout, afin de
coller aux repères des consommateurs.
Le casse-tête de la distribution
Et pour vendre ses bières, faute de canaux de distribution à
l'échelle nationale, nos brasseurs se raccrochent à juste titre à un
marché purement régional. Jouer la carte des ingrédients régionaux
(plantes, alcool, miel,…) est certes intéressant dans ce contexte…
au risque d'avoir un peu l'impression qu'on fabrique parfois des
bières avec n'importe quoi, le composant régional étant censé
dominer le goût d'une bière souvent peu osée.
Car, qui dit marché régional implique peu de consommateurs
potentiels, d'où la nécessité de produire des bières passe-partout.
La boucle est bouclée, l'absence de canaux de distribution nationaux
pousse à produire des bières faciles et stéréotypées, par opposition
disons à un Imperial India Pale Ale qui trouverait son public cible
dans le cadre d'une distribution nationale.
Pourtant, je pense qu'à côté d'une gamme de base, un brasseur
artisanal aurait intérêt à ajouter un vrai produit de dégustation
pour se démarquer. Son outil de production le permet. Et ceci
constituerait une carte de visite à moindre frais, les amateurs de
bière se chargeant de colporter la bonne nouvelle! Prenons l'exemple
de la Lancelot XI.I : une goutte d'eau dans la production de cette
brasserie et pourtant une bière connue de tous les aficionados.
Une difficulté à fédérer
Les brasseurs français sont individualistes. Un problème d'infection
dans ma production? Je me débrouille dans mon coin et surtout je
n'en parle pas.
Tout l'opposé de la Belgique où les Brasseurs Belges (http://www.beerparadise.be)
font office de ciment qui regroupe les notions de représentation,
partage des connaissances, centre de conseils et même vecteur
d'activités folkloriques!
En France, il y a bien Brasseurs de France (http://www.brasseurs-de-france.com)
dont les 73 brasseries adhérentes voient se côtoyer quelques
microbrasseries à côté de grosses brasseries régionales (Bourganel,
Duyck,…) et de multinationales (Heineken Entreprise et même AB Inbev
France, le belgo-américano-brésilien qui ne possède pas de brasserie
en France!). Pas étonnant que nos petites brasseries se sentent un
peu à l'étroit au sein de cet organisme qui aura au moins eu le
mérite de leur ouvrir ses portes avant que les petits brasseurs
décident de se fédérer eux-mêmes. Il y a aussi quelques initiatives
régionales dont BIERA est un exemple en Rhône-Alpes.
Des brasseurs peu présents
Au premier Mondial de la Bière de Strasbourg, en octobre 2009, il
était difficile de trouver des brasseries françaises alors même
qu'on jouait à domicile. Et que penser de la sous-représentation au
sein des concours internationaux (World Beer Cup, par exemple)?
Mais, la cerise sur le gâteau, est le peu de brasseries françaises
qui présentent des échantillons au Concours Général Agricole dont
les médailles bénéficient pourtant d'une vraie reconnaissance auprès
du grand public!
Calimero
A peine 16% de la consommation d'alcool en France revient à la bière
(source : Brasseurs de France). Cependant, la bière est souvent
montrée du doigt quand il s'agit d'alcoolisme. Pourtant, les
brasseurs investissent beaucoup dans la lutte contre l'alcoolisme et
multiplient les initiatives de produits peu alcoolisés garantis sans
goût (l'Angleterre prouvant qu'il est tout à fait possible de
produire des bières peu alcoolisées qui débordent de caractère). A
quand un effort des vignerons pour produire un vin à 6% alc. vol?
Car il est bien là le problème, à force de multiplier les
initiatives pour se montrer respectable en terme de consommation
d'alcool, on a l'impression de se sentir coupable de tous les maux.
Alors, Messieurs les Brasseurs, ressortez des Barley Wine, des India
Pale Ale, des Old Ale, des Doppelbock, faite-vous et faite-nous
plaisir tout en offrant des produits qui valorisent la Bière. Elle
en a bien besoin.
Marketing et merchandising
Et pour valoriser la bière, le marketing et le merchandising sont
nécessaires, même pour une microbrasserie. Non, ces mots ne sont pas
grossiers, le contenu ne suffit pas à vendre, il faut investir dans
le contenant et, d'une manière générale, dans l'instant bière.
Celle-ci doit raconter une histoire, donner envie tout simplement.
Je regarde positivement les efforts entrepris par les petits
brasseurs italiens qui parent leurs breuvages de magnifiques
bouteilles galbées aux étiquettes sobres et travaillées. On croirait
du vin! Et d'ailleurs, ces produits s'écoulent par les mêmes canaux
de distribution que le vin… à un prix par ailleurs comparable. Un
bel exemple de réussite.
Alors, petites unités de production brassicole en France,
unissez-vous, osez, faites que la révolution soit à nouveau
française!
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