Techniques de dégustation

I. Aspects visuels

I.1 La mousse

I.2 La couleur

I.3 Autres aspects physiques

II. L'odeur

II.1 Les principaux composants aromatiques

II.2 Odeurs et types de bière

II.3 La rétro-olfaction

III. Le goût

III.1 Théorie de Charles Cohn définissant le concept de quatre saveurs détectables par la langue

III.2 Théorie du "Y" du goût de Gaston Marinx

III.3 Théorie de l'image sensorielle

III.4 Le sucré, l'amer et l'acide

III.5 Aspects tactiles, arrière-goût et durée

III.6 Les seuils de dégustation

III.7 Faux-goûts

 

I. Aspects visuels

Le chapitre précédent, consacré au service de la bière, nous a permis d'obtenir une bière parfaitement servie. Il nous reste à la déguster…

La qualité d'une bière s'apprécie d'abord en la regardant.

I.1 La mousse

La mousse résulte de l'effervescence, elle-même produite par la libération des gaz (CO2 le plus souvent) contenus de la bière. Dans le cas d'une bière en bouteille, le CO2 aura été introduit lors de l'embouteillage ou sera le résultat d'une refermentation dans le contenant. Dans le cas d'une bière pression, le CO2 est directement injecté lors du tirage.

L'examen de la mousse apporte les éléments suivants :

- Une mousse fine est toujours un bon point. De trop grosses bulles peuvent témoigner d'un excès de CO2 dans la bière pouvant fausser le goût. De plus, les grosses bulles ayant une pression interne plus faible que les petites bulles, ces dernières ont tendance à se vider dans les grosses bulles, amorçant ainsi la chute de la mousse. D'où l'intérêt de couper l'excédent de mousse à l'aide d'un coupe-mousse, comme vu précédemment. Cela peut arriver avec des tirages pression mal entretenus, mais aussi avec des bières en bouteilles qui ont subi une refermentation excessive.

- Dans le cas d'une mousse crémeuse, il est possible que ce soit le résultat de l'emploi d'azote (combiné ou non avec du CO2) qui en soit la cause. On retrouve cet usage dans certaines bières anglaises, les stouts en particulier. L'azote est injecté lors du tirage pression. Un autre système existe également pour les boîtes métalliques : il s'agit d'une capsule d'azote qui libère le gaz lors de l'ouverture, offrant ainsi une mousse particulièrement abondante et crémeuse.

- La couleur de la mousse peut varier du blanc éclatant jusqu'au brun foncé. La mousse est parfois parsemée de reste de levure ou de protéines liées à la fermentation. Dans le cas d'une couleur trop marquée ou inhabituelle, il peut s'agir de l'emploi de colorants par le brasseur.

- La quantité de mousse est fonction de la qualité du service et du style de la bière. Il est normal pour une ale anglaise ou un (vrai) lambic belge de mousser très peu. Par contre, la mousse est une caractéristique intrinsèque aux bières de type pils, par exemple. Dans ce cas, l'absence de mousse traduit une bière trop vieille, une mauvaise conservation ou encore un tirage défectueux.

- La persistance de la mousse est également un élément à prendre en compte. La mousse protégeant la bière du contact direct avec l'air (et donc de l'oxydation), sa stabilité est un signe de qualité.

- Enfin, le fait que la mousse se dépose en fine dentelle sur les bords du verre, témoignant des différentes gorgées absorbées, est un autre signe évident de la qualité de la bière.

I.2 La couleur

La couleur peut varier du blond le plus pâle au noir le plus opaque. Cette couleur est le plus souvent le résultat de l'opération de maltage (transformation de l'orge en malt) qui produit les albuminoïdes conférant à la bière sa couleur. Ainsi, après les opérations de trempage et de germination du grain, survient le touraillage ayant pour but d'assurer le séchage du grain et éventuellement sa torréfaction, selon les plages de température employées. On obtient ainsi un grain plus ou moins foncé, allant de la variété la plus claire (malt de type "pils") jusqu'à la variété la plus foncée (malt torréfié) en passant par tous les intermédiaires (Munich, viennois, caramel,…). A noter qu'une faible quantité de malts torréfiés (5 à 10%) suffit pour obtenir une bière foncée. La couleur d'une bière s'exprime en degrés EBC.

Dans le verre, la couleur est le résultat de la réflexion de la lumière. La lumière idéale pour évaluer la véritable couleur d'une bière est celle du jour. Il est également préférable de réaliser ses observations sur un fond blanc.

Outre la couleur, nous observerons également la limpidité de la bière. La limpidité ou luminosité se réfère à la brillance de la bière, à sa capacité de laisser passer les rayons de lumière. Deux types de matières affectent la luminosité : les levures en suspension et les protéines qui bloquent les rayons lumineux lorsque la bière est refroidie (on parle dans ce cas de "voile colloïdal").

La présence d'un trouble ne représente pas un défaut : les bières refermentées sur lie sont naturellement troubles, de même que les bières de froment (type "blanche"). Bien évidemment, ceci est fonction du style de bière et il est clair que le fait qu'une pils soit trouble constitue forcément un signe de mauvais service ou de mauvaise conservation de la bière.

I.3 Autres aspects physiques

D'autres éléments visuels peuvent également nous fournir de précieuses indications :

- La présence de grosses bulles qui collent à la paroi du verre est le signe d'un mauvais nettoyage, ou d'un verre trop sec ou légèrement poussiéreux. Ceci conduit à une désaturation trop rapide en gaz carbonique pouvant influer sur le goût.

- La présence de buée sur le verre montre une température de service correcte pour une bière de fermentation basse (entre 6 et 8°C) mais ne doit pas se produire pour une bière de fermentation haute. En effet, une température trop basse empêche la libération des arômes et ne permet pas à la bière de montrer toute sa complexité (et ses défauts éventuels).

 

II. L'odeur

 

La mousse, observée au chapitre précédent, permet d'éviter une oxygénation trop rapide de la bière, en empêchant le contact direct avec l'air. Elle constitue donc de ce fait un couvercle qui masque partiellement les odeurs.

Notons à ce point que la température de service joue un rôle primordial : à moins de 8°C, les odeurs sont très atténuées. Il est donc conseillé, lors d'une séance de dégustation, de servir les bières au moins à 10°C, et d'attendre un peu qu'elles se réchauffent dans le verre. Vous trouverez des informations plus complètes sur la température de service dans la section consacrée au service de la bière.

L'examen olfactif a pour avantage de permettre la détection des défauts éventuels de la bière (voir chapitre III.7) : bières infectées, aigres, mal conservées,… Les mauvaises odeurs sont souvent plus fortes que les bonnes. Mais attention de ne pas se tromper : certaines odeurs inhabituelles qui peuvent étonner le consommateur ne sont pas liées à des défauts mais sont au contraire des caractéristiques intrinsèques à un style de bière. Par exemple, le vrai lambic et certains de ses dérivés présentent une odeur acidulée, parfois âpre. De même, des notes aigres-douces, vinaigrées, se retrouvent dans certaines brunes flamandes de Belgique. Il ne s'agit pas dans ce cas de bières présentant un défaut. Au plus s'agit-il de bières difficiles qui nécessitent un entraînement plus long de la part du dégustateur. Je dirais même que ces bières qui peuvent choquer au départ sont celles qui offrent le plus de plaisir à long terme (et ce n'est pas un amateur de Cantillon qui me contredira).

La capacité à percevoir des odeurs spécifiques est fonction de la capacité du dégustateur. Néanmoins, celle-ci est susceptible d'être perfectionnée par le nombre de dégustations et les efforts de mémorisation associés.

 

II.1 Les principaux composants aromatiques

 

Bien que plus de 850 composants aromatiques aient pu être détectés dans les odeurs de la bière, il est possible de la classer en quelques grandes familles :

- le floral : par exemple, l'odeur de géranium associée à certaines variétés de houblon,

- l'herbacé : odeur d'herbe fraîchement coupée,

- le fruité : souvent lié à la présence d'esters supérieurs (banane, ananas,…) ou aux houblons utilisés (agrumes), la gamme est cependant beaucoup plus vaste : pomme, poire, melon,…

- le torréfié : typique de certaines brunes, des stouts et des porters. Cette odeur est liée à la torréfaction subie lors du maltage. Dans certains cas, on détecte plus le chocolat ou le cacao,

- le caramel : on le retrouve souvent dans certaines ales anglaises. Ressort plus facilement dans une bière sucrée,

- les céréales : le plus souvent le malt, parfois le froment,

- la levure : notion de levure fraîche pouvant parfois conférer à l'ensemble des notes lactiques, de produits laitiers,

- le miel : parfois identifiable même lorsque la bière n'en contient pas.

 

II.2 Odeurs et types de bière

 

En règle générale, les bières de fermentation haute offrent un nez plus puissant et plus varié que la basse fermentation. On y retrouve principalement des notes fruitées, de céréales et de caramel.

Les bières de fermentation basse se limitent aux notes herbacées. Parfois un peu de malt également. Pour le reste, il arrive souvent qu'une telle bière ne possède aucune odeur reconnaissable.

Les blanches belges sont souvent identifiables par les notes acidulées liées à l'utilisation de froment ainsi que par les épicées utilisées : coriandre et curaçao principalement.

Les blanches allemandes (weizenbier le plus souvent) offrent également un caractère acidulé, parfois complété par des notes lactiques (fermentation lactique).

Les bières de fermentation spontanées (lambics, par exemple) se caractérisent par une certaine aigreur, accompagnée parfois de notes de bois pourri (vieillissement en foudres de chêne).

Les ales brunes, les porters et les stouts offrent un nez de café froid, de pain brûlé ou encore de chocolat ou de caramel.

Notons enfin que le vieillissement de la bière peut conférer des notes vineuses, de porto (madérisation) ou encore de caramel au beurre (diacétyle).

 

II.3 La rétro-olfaction

 

La recherche des odeurs d'une bière ne se limite pas à mettre son nez au-dessus du verre, afin que les cellules olfactives identifient les molécules présentes. Elle intervient en effet aussi dans un second temps, une fois la gorgée avalée. C'est ce qu'on appelle la rétro-olfaction. Une fois passée la bouche et la gorge, la bière avalée va envoyer un nouveau message odorant qui remonte vers les fosses nasales et stimule à nouveau les cellules olfactives. Cette seconde salve d'odeurs va permettre de compléter, de confirmer ou d'infirmer la première.

Bien entendu, cette méthode ne fonctionne que si on avale une gorgée, mais il arrive rarement qu'un dégustateur de bière recrache le liquide.

rétro-olfaction

 

III. Le goût

 

III.1 Théorie de Charles Cohn définissant le concept de quatre saveurs détectables par la langue

 

La théorie de Charles Cohn consiste à répartir les saveurs en quatre éléments principaux : sucré, salé, acide et amer. Chacun de ces éléments est localisé sur une partie de la langue : vers la pointe le sucré, latéralement l'acide et le salé, sur le dessus de l'arrière langue l'amertume.

Théorie de Charles Cohn définissant le concept de quatre saveurs

Cette hypothèse veut que chaque qualité gustative soit détectée par un récepteur spécifique (papille), lequel relie l'information au cerveau grâce à un neurone dédié à cette tâche. En d'autres termes, le sucre excite seulement les papilles gustatives qui sont identifiées par le cerveau comme pouvant goûter le sucré. Il serait impossible à celles-ci, par exemple, de réagir à une saveur salée.

Cette explication est aujourd'hui souvent remise en cause par les spécialistes, qui la trouvent trop simple. De plus, elle ne tient pas compte de certains éléments comme l'astringence, l'âcreté, l'âpreté ou encore le piquant.

 

 

III.2 Théorie du "Y" du goût de Gaston Marinx

 

Gaston Marinx est un sociologue belge, spécialiste du goût de la bière. Il considère que le positionnement sensoriel d'une bière peut être représenté par des figures géométriques à trois variables, au moyen, par exemple, d'un triangle ou de l' Y du goût. On y retrouve donc sur les trois branches les saveurs sucrées, acides et amères, le salé n'étant que rarement présent dans la bière et étant considéré par Gaston Marinx comme un condiment et non une saveur de base. Au point de rencontre de ces trois saveurs se trouve la zone neutre, caractérisée par une neutralisation en terme de perception.

La difficulté de la méthode consiste à traduire en chiffres les sensations perçues lors de la dégustation. L'avantage est une représentation graphique permettant de comparer les bières, de les classer et de déterminer des typicités.

Les mêmes procédés de représentation (Y, triangle) pourront être utilisés pour l'analyse des composants de la bière car ils sont également au nombre de trois : le malt, la levure et le houblon pour une bière classique actuelle ou, d'une façon plus générale, la matière première amylacée, l'organisme de fermentation et les aromates. Cette autre Y ainsi défini vient se superposer au premier, ce qui permet un très grand nombre de possibilités pour rendre compte de la spécificité d'une bière.

 

III.3 Théorie de l'image sensorielle

 

Ce n'est qu'à la fin des années 70 que l'hypothèse des quatre saveurs fit place à la théorie de "l'image sensorielle gustative". Dans cette théorie, toutes les papilles gustatives réagissent à toutes les saveurs. Chaque cellule gustative a la possibilité de réagir à différentes saveurs et, selon son affinité pour la substance, elle transmettra au cerveau un stimulus de différente intensité. Il se crée alors une image sensorielle composée d'une mosaïque de stimuli. Le cerveau reconnaît cette image sensorielle comme étant telle ou telle saveur. Par exemple, en mangeant une banane, les papilles transmettent au cerveau une image sensorielle qui, une fois décodée, sera nommée "banane". Mais la saveur de banane peut varier : banane trop mûre, pourrie, pas mûre,… Il existe donc des images sensorielles similaires (bananes), mais qui diffèrent légèrement en fonction du stimulus.

Le cerveau décode les stimuli électriques de la même façon qu'une image visuelle se construit : pixel par pixel. La même saveur excitera chaque papille de façon plus ou moins forte, l'énergie électrique sera véhiculée au cerveau et celui-ci reconnaîtra l'image, et donc la saveur. Si la saveur est trop diluée, l'image électrique sera composée de trop peu de pixels (image floue) pour que la saveur soit reconnue (c.f. chapitre III.6 sur les seuils de dégustation).

L'image sensorielle engendrée pour la première fois par une saveur inconnue est mémorisée pour un certain temps par le cerveau. Si la personne est malade dans les heures suivant la consommation du produit, cette image sera considérée comme toxique et sera enregistrée comme telle par le cerveau, puis gardée en mémoire. Au contraire des images gustatives toxiques, l'image sensorielle inconnue, qui ne crée pas de réaction toxique, sera très vite oubliée. Il faut donc être stimulé plusieurs fois par la même saveur pour mettre en mémoire des images gustatives agréables. En d'autres termes, il est nécessaire de multiplier les dégustations pour pouvoir se créer une bibliothèque des saveurs que l'on peut reconnaître.

 

III.4 Le sucré, l'amer et l'acide

 

La reconnaissance gustative d'une bière passe donc par l'identification mais aussi la combinaison de trois saveurs principales : l'amer, le sucré et l'acide.

1°) Le sucré : dans le cas particulier de la bière, le sucré provient des glucides simples restants non fermentés ou non fermentescibles ainsi que de glucides plus complexes en cours de dégradation dans la bouche par l'amylase salivaire.

Outre les sucres résiduels, il est possible d'ajouter du sucre (miel, sucre candi, mélasse,…) soit pour apporter des arômes supplémentaires, soit pour obtenir une nouvelle fermentation (bières refermentées en bouteille, par exemple).

Le goût sucré peut également provenir de l'addition d'édulcorants de synthèse (aspartame par exemple) dans les pays où cette pratique est licite.

2°) L'acide : l'acidité provient surtout du gaz carbonique dissout. N'oublions pas que la bière affiche un PH d'environ 4,4. Certains types de bière comme les lambics, les gueuzes, les blanches ont acquis par leur méthode de brassage une acidité spécifique renforcée.

Enfin, une infection bactérienne peut considérablement augmenter la réaction acide (bactéries lactiques ou acétiques).

L'acidité est la saveur que l'on identifie le plus facilement : son seuil de perception est particulièrement bas.

3°) L'amer : l'amertume de nos bières actuelles trouve son origine dans les constituants du houblon. Depuis le 11ème siècle (pratique du houblonnage), c'est une des spécificités de la bière que de présenter une amertume plus ou moins prononcée. Avant que l'emploi du houblon ne se généralise, d'autres plantes amères étaient déjà utilisées par les brasseurs pour donner du goût à leur bière tout en facilitant la conservation.

L'amertume est également apportée par le maltage des céréales et est liée au degré de torréfaction des grains.

 

III.5 Aspects tactiles, arrière-goût et durée

 

Le contact de la bière dans la bouche est d'ordre physique, c'est-à-dire tactile. On distingue les éléments suivants :

- l'effervescence : il s'agit de la sensation de picotement perçue en bouche, liée à la désaturation du liquide en gaz carbonique (CO2). Ce gaz carbonique est apparu lors de la fermentation et de la garde. Le CO2 se libère en partie lorsqu'on verse le liquide dans le verre, entraînant la formation de mousse. Le CO2 dissout résiduel constitue alors la base de l'effervescence ou pétillance de la bière.

L'effervescence d'une bière est fortement liée au style de bière. Ainsi, il est normal pour un lambic ou la plupart des ales anglaises d'avoir une effervescence quasi-nulle. Par contre, une bonne effervescence est une caractéristique d'une pils.

- l'astringence : sensation de sécheresse en bouche provoquée par un phénomène de contraction des tissus buccaux. Son origine est liée à l'enveloppe des céréales utilisées (éviter le lavage excessif des drêches) ou à l'usage de certaines variétés de houblon.

- le corps : il s'agit de l'épaisseur de la bière en bouche, allant du fluet (ou aqueux) jusqu'au sirupeux. Le fait d'aérer la bière en bouche en facilite l'évaluation. Voici quelques adjectifs couramment utilisés : corpulente, épaisse, veloutée, gouleyante, lisse, soyeuse, aqueuse, fluide, crémeuse, moelleuse, ronde.

- l'alcool : se caractérise par une sensation de réchauffement. L'alcool est assez difficile à identifier, le plus souvent parce qu'il est supplanté sur le plan aromatique par d'autres éléments.

- l'âpreté : sensation de rugosité en bouche. Typique des lambics et des saisons hennuyères, il s'agit d'un élément que l'on retrouve souvent dans le cidre brut.

 

L'arrière-goût est l'image de ce qu'il reste en bouche après avoir avalé la gorgée de bière. Cet élément est souvent influencé par la rétro-olfaction (voir chapitre II.3). Ceci est important car l'arrière-goût complète les sensations perçues précédemment. De plus, c'est la dernière impression que la bière laisse en bouche.

 

Enfin, un autre élément important est la durée ou persistance de la bière en bouche. Certaines bières ne laissent aucun souvenir dès que la dernière gorgée a été avalée tandis que d'autres prolongent durablement les sensations précédemment perçues.

 

Le corps et la durée d'une bière sont les éléments essentiels permettant de définir l'ordre de dégustation des bières, ceci afin d'éviter qu'une bière courte et légère ne soit supplantée par une bière longue et puissante.

Il est d'ailleurs intéressant de boire de l'eau et de manger un peu de pain blanc entre deux bières.

 

III.6 Les seuils de dégustation

 

L'une des dimensions de la dégustation des bières se retrouve dans cette relation qui existe entre la capacité de la bière à transmettre ses saveurs et la capacité du goûteur à les identifier. En d'autres termes, il y a d'une part un émetteur de signal, et d'autre part un receveur de signal. Le défi ici est que le signal soit transmis du point A, la bière, au point B, le goûteur.

La situation se présente plus particulièrement dans les bières de fermentation haute (ce qui inclut techniquement les fermentations spontanées) qui produisent une ribambelle d'esters. Dans le cas des fermentations basses, la structure des flaveurs est habituellement beaucoup moins complexe et se compose généralement de saveurs beaucoup plus faciles à identifier, comme par exemple le malt, le houblon ou le caramel.

 

Seuil de perception (qualité du produit)

Le seuil de perception est le nombre de molécules qu'un produit doit nécessairement libérer pour être perceptible par un être humain. Prenons l'exemple d'un verre d'eau sans saveur. Ajoutons-y un grain de sucre. En règle générale, la grande majorité des êtres humains ne parviendraient pas à en identifier le goût sucré. Si nous poursuivons l'ajout de sucre, il arriverait un point où une majorité d'entre nous serions en mesure de le percevoir. Lorsque 50% de la population peut le percevoir, on nomme ce seuil «le seuil de perception». Chaque composé possède un seuil de perception différent. Moins un produit doit être présent en grande quantité pour être perçu, plus son seuil est bas. Dans la dégustation des bières, l'acide et l'amer ont des seuils de perception très bas, tandis que le sucré possède un seuil de perception très élevé.

Le seuil de perception varie en fonction de la température du produit. Par exemple, le seuil de perception du sucre diminue lorsque la température augmente. Une bière chaude offre habituellement à nos sens des saveurs plus sucrées qu'une bière froide.

 

Seuil d'identification (qualité du dégustateur)

Il s'agit de la capacité du buveur à identifier les molécules de saveurs présentes dans la bière. Reprenons l'exemple du verre d'eau dans lequel on ajoute graduellement du sucre. Son seuil de perception est fixé au moment où 50% de la population est en mesure de l'identifier. En d'autres termes, 49% de la population est en mesure d'identifier le sucre avant les autres. Certains sont en mesure de la faire très tôt car leur sensibilité à ce produit est plus élevée. On dit que ces personnes ont un seuil d'identification bas à l'égard de ces saveurs. Plus un seuil d'identification est bas, meilleur est le dégustateur pour la saveur concernée.

Chaque individu possède ses propres seuils d'identification pour chaque saveur. Les habitudes alimentaires jouent ici un rôle déterminant. Quelqu'un habitué à ingurgiter de grandes quantités de soda sucré va augmenter son seuil d'identification pour le sucre. En d'autres termes, il faudra une plus grande quantité de sucre avant que le dégustateur ne puisse le détecter. Moi qui ne bois pas de sodas sucrés, je suis beaucoup plus sensible au sucre et reproche donc de ce fait souvent aux bières commerciales un excès de sucre.

 

Seuil de saturation (qualité du dégustateur et du produit)

Pour la bière, il s'agit du nombre de molécules au-delà duquel aucune augmentation du stimulus ne se produit. Dans certains cas, la sursaturation peut provoquer une sensation de rejet. Le seuil de saturation du dégustateur nous permet donc d'identifier les différents "étages" des flaveurs de la bière. Les premières flaveurs identifiées sont celles qui sont présentes en grand nombre dans la bière. Après quelques secondes, ces flaveurs ne sont plus perceptibles par le goûteur. Elles sont vraisemblablement présentes mais on cesse de les percevoir, car la fonction des percepteurs sensoriels n'est pas d'identifier continuellement ce qui se passe mais de nous informer de la nature de ce qui nous entoure. C'est à ce moment qu'il est possible d'identifier des étages supplémentaires de flaveurs dans la bière. En d'autres termes, une bière peut dans un premier temps nous paraître sucrée. Une fois le seuil de saturation du sucre atteint, il sera possible au dégustateur de détecter d'autres nuances dans la bière.

 

III.7 Faux-goûts

 

Il me semble essentiel de pouvoir identifier les faux-goûts. Le plus souvent, il s'agit d'un problème pouvant survenir durant l'ensemble des phases de l'élaboration d'une bière : matières premières mal conservées ou de mauvaise qualité, incidents au brassage, à l'ensemencement ou pendant la fermentation, contamination à la mise en bouteille ou encore problèmes liés au stockage.

Attention de ne pas assimiler des caractéristiques de certains styles de bière à des défauts. Il est normal pour un lambic de présenter une forte acidité, parfois complétée par une certaine âpreté. C'est l'expérience du dégustateur qui permettra de faire la différence.

Voici les principaux faux-goûts qu'il est possible de détecter :

- goût aigre : présence de bactéries acétiques (vinaigre) ou lactiques.

- goût de pharmacie (phénol et chlorophénol) : présence de chlore dans l'eau ou encore infection bactérienne (mauvais entretien des installations de débit, par exemple).

- goût de céleri, de légumes crus (diméthylsulfure ou DMS) : en général lié à un temps d'ébullition trop court.

- goût de rance (diacétyle) : ce goût de beurre rance ou encore de caramel au beurre est lié dans une bière fraîche à une trop grande quantité de levure ou encore à une température de fermentation trop élevée. Il peut également apparaître lors de la conservation de la bière car le diacétyle augmente avec l'oxydation.

- goût de carton mouillé, de cave, de renfermé : ceci est lié à une oxydation de la bière. Celle-ci peut survenir lors de la fermentation ou encore lors de la garde (problème d'embouteillage, par exemple).

- goût de pomme verte (acétaldéhyde) : température de garde trop élevée.

- goût métallique : exposition à un métal. Certains houblons peuvent aussi donner ce goût.

© Emmanuel Gillard - Projet Amertume -