Ma nouvelle fiche de dégustation
Ou comment combiner analyse sensorielle, descripteurs de flaveurs, classement en styles, sous-styles et familles, métriques de la bière et faux-goûts sur une page A4!

Auteur : Emmanuel Gillard - Publié le 12 mars 2019

S'il n'y a pas qu'un modèle de fiches de dégustation, c'est bien parce que chacun, en fonction notamment de son expérience, préfèrera telle ou telle manière de stocker les informations lui permettant de noter une bière dégustée. Le plus important est qu'en relisant ses notes de dégustation, on soit capable de se rappeler de la bière. La fiche de dégustation sert donc à consigner une expérience de dégustation.

En pratique, il existe trois types de fiches de dégustation, en fonction de l'expérience du dégustateur et du temps consacré à la notation d'une bière :

1°) fiche simplifiée pour permettre au consommateur de déguster avec simplicité mais en connaissance de cause

2°) fiche de dégustation intermédiaire qui permet au dégustateur de faire le tour de sa bière en mémorisant une trame de façon à être le plus objectif avec lui-même à chaque fois

3°) fiche quasiment professionnelle avec les faux goûts possibles, à utiliser après une vraie formation à la dégustation

Pour ma part, cela fait une vingtaine d'années que j'emploie une fiche de dégustation intermédiaire, dont vous pouvez voir le résultat au travers de mes notes sur les bières dégustées dans Projet Amertume (http://projet.amertume.free.fr/index_listing.htm). Le fonctionnement de cette fiche de dégustation intermédiaire se base sur 37 éléments regroupés dans 4 sections, tel que précisé dans la rubrique d'aide associée (http://projet.amertume.free.fr/html/aide.htm).

Cela faisait un petit bout de temps que je me sentais à l'étroit avec cet outil. J'ai donc décidé de le faire évoluer, afin que chaque fiche intègre tous les éléments nécessaires à une dégustation professionnelle, l'ensemble devant tenir sur une seule page de taille A4.

J'avais le choix entre deux grandes familles de fiches de dégustation :

  • Les fiches de dégustation sous forme de questionnaire

  • Les fiches de dégustation visuelles

Les fiches de dégustation sous forme de questionnaire sont pratiques car elles contiennent tout le vocabulaire nécessaire à la dégustation. Dès lors, le dégustateur n’a plus qu’à la remplir en cochant des cases et en définissant des valeurs sur des axes. A titre d'exemple, voici la fiche de dégustation de la société canadienne Beerology :

Fiche de dégustation Beerology
Fiche de dégustation Beerology

Les données de la dégustation sont ainsi réparties en six sections. Les quatre premières sections se réfèrent aux quatre sens mis en œuvre lors d’une dégustation (vue, odorat, goût et toucher). La cinquième section s’intéresse à l’arrière-goût tandis que la sixième section permet au dégustateur de noter ses impressions personnelles. Facile et rapide à remplir, elle permet d'aborder l'ensemble des composantes d'une dégustation.

Voici un deuxième exemple, qui s'adresse à un public de dégustateurs avertis. Il s'agit de la fiche de dégustation utilisée par les jurés certifiés dans le cadre du Beer Judge Certification Program (BJCP).

Il s'agit cette fois de vérifier l'adéquation d'un échantillon avec un style déterminé (stylistic accuracy). Le style de référence est indiqué sous la forme d'un numéro (Category #) correspondant au classement des styles défini par le BJCP. Les principaux faux-goûts sont également listés.

Fiche de dégustation Beer Judge Certification Program (BJCP)
Fiche de dégustation Beer Judge Certification Program (BJCP)

Les fiches de dégustation visuelles s'inspirent à la fois de la théorie du Y du goût et de la roue des flaveurs.

Il s’agit en effet d’une version simplifiée de la roue des flaveurs de la bière, la simplification consistant à regrouper certaines flaveurs au sein d’une même famille et à supprimer des flaveurs peu fréquentes.

Pour chacune de ces familles de flaveurs, le dégustateur doit déterminer son intensité dans la bière dégustée, en la matérialisant par une valeur sur un axe, tout comme l'avait fait Gaston Marinx pour les trois saveurs de base couramment présentes dans la bière (saveurs sucrées, acides et amères) dans sa théorie de l'Y du goût.
A titre d'exemple, voici une fiche de dégustation visuelle pour une bière en bouteille de 8,7% alc. vol et 43 IBU.

En quelques secondes, on comprend qu'il s'agit d'une bière à dominante maltée, sur le toffee, avec un houblonnage moyen à dominante herbacée. Le corps, de densité moyenne et d'une durée moyenne est assez sec.

Le cahier des charges de ma nouvelle fiche de dégustation était le suivant :

1°) S'orienter vers une fiche de dégustation de type questionnaire, tout en laissant des espaces de libre expression afin que le dégustateur ne se limite pas à cocher des cases,

2°) Utiliser l'analyse sensorielle, pour les quatre sens exploités lors de la dégustation : vue, odorat, toucher et goût,

3°) Intégrer les descripteurs de flaveurs les plus fréquents.

Pour rappel, les flaveurs constituent la somme des sensations perçues par voie olfactive directe (odorat), par contact de la bière avec la bouche (goût et toucher) et par voie rétronasale (arôme). Pour que deux dégustateurs se comprennent, il est indispensable qu'ils parlent le même langage. Pour cela, il est nécessaire de s'appuyer sur des descripteurs de flaveurs qui doivent avoir une signification universelle (facilement traduit dans toutes les langues), ne pas comporter d'éléments subjectifs (équilibré/déséquilibré, bon/mauvais,…) et pouvoir se référer à des échantillons standards.

Afin de classer ces descripteurs de flaveurs selon une logique qui permette de facilement remplir la fiche de dégustation, je les ai regroupés selon leur origine la plus fréquente :

* Les céréales
* Le houblon
* Les levures
* L'eau
* Les éventuelles épices employées
* L'élevage en fût de bois

4°) Se baser sur mon propre système de classement en styles, sous-styles et familles de bière :

* Les styles de bière permettent de regrouper des produits disposant de caractéristiques organoleptiques communes. Ces éléments gustatifs sont liés aux techniques de fabrication, aux ingrédients employés ou encore à des contraintes historiques qui ont impliqué des habitudes de brassage qui se sont poursuivies jusqu'à présent
* Dans certains cas, plusieurs variantes existent pour un même style de bière. Pour plus de clarté, j'ai donc décidé de créer des sous-styles
* Les familles de bières permettent de regrouper des produits qui peuvent appartenir à des styles différents mais qui disposent de caractéristiques communes

5°) Mentionner les principales métriques de la bière dégustée.

La métrologie est la science de la mesure. Elle définit les principes et les méthodes permettant de garantir et maintenir la confiance envers les mesures résultant des processus de mesure. Il s'agit d'une science transversale qui s'applique dans tous les domaines où des mesures quantitatives sont effectuées.

La production de bière n'échappe bien entendu pas à l'utilisation de métriques qui lui sont spécifiques.

Pour le brasseur, il s'agit d'élaborer ou de respecter une recette établie, dont les quantités se réfèrent à des métriques. Par exemple, les paliers de température lors de l'empâtage (température et durée).

Pour les services fiscaux, c'est un moyen de définir les taxes à appliquer.

Pour le consommateur, cela permet d'obtenir des repères permettant de qualifier le produit avant même de l'avoir goûté : taux d'alcool, amertume calculée,…

6°) Contenir une liste des faux-goûts les plus courants.

Tous les goûts que nous retrouvons dans la bière peuvent être classés en bons goûts et en faux-goûts. Les faux-goûts, ou goûts non désirés, proviennent la plupart du temps d’un défaut de la bière lié au brassage ou à la garde. Les bons goûts, ou goûts désirés, sont ceux que l’on recherche dans la bière.

Tout ceci est cependant subjectif. Certains goûts sont désirables uniquement dans des styles de bières déterminés. Ainsi, des esters de banane sont recherchés dans une weizenbier mais ne doivent pas apparaître lors de la dégustation d’une pils. Même dans un style où un goût spécifique est attendu, ce goût ne doit pas être prédominant au point d’écraser les autres et, d’une manière générale, il doit bien se marier aux autres arômes de la bière et plus généralement à son corps et ses saveurs.

Le système de classement des faux-goûts utilisé a été élaboré par mes soins. Ils sont triés selon la cause principale : ingrédients, processus de brassage, infections microbiologiques, garde et conditionnement.

Tout ce travail se concrétise au travers d'une nouvelle fiche de dégustation dont voici le lien de téléchargement : Fiche de dégustation Projet Amertume

Fiche de dégustation Projet Amertume - Recto

Bon d'accord, il y a un recto et un verso, soit un peu plus qu'une seule page A4. Mais seul le recto doit être complété, le verso étant en quelque sorte le mode d'emploi associé.

Fiche de dégustation Projet Amertume - Verso

Je suis bien entendu preneur de vos remarques sur ce document qui est appelé à évoluer.

Ceci ne doit pas nous faire oublier que la dégustation reste avant tout un plaisir, un moment de partage. Réservons donc cette fiche "professionnelle" aux bières pour lesquelles on veut obtenir une photographie complète, par exemple pour en faire un retour à un brasseur. Pour les autres, un échange spontané entre dégustateurs se révèlera bien plus instructif et convivial.